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LE VIEUX HANOI

alasweb 2è tr 2006

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Dans quatre ans Hanoi fêtera son millénaire. C’est l’une des plus anciennes capitales de l’Asie du Sud-Est, qui plus est, la seule à avoir conservé sa cité marchande. Un joyau préservé par la guerre ! Le vieux Hanoï ancré dans notre mémoire collective et familiale résistera-t-il au développement et à la modernisation en cours ? Comme beaucoup de villes asiatiques, Hanoï verra-t-elle le triomphe d’un urbanisme international. Dès lors, coupée de ses racines, elle perdrait sa beauté et son charme, fruits d’une longue histoire.

Installée voici mille ans par l’empereur Lý Thái Tổ (1) « pour dix mille générations à venir » dans un site naturel remarquable, cette capitale aura vu plus d’une fois son nom modifié et son statut remanié. Elle s’est appelée successivement : Thăng Long (Dragon qui s’envole) lors de sa fondation en 1010; Đông Đô (capitale de l’Est) en 1400 , Đông Kinh ( capitale du grand empire de l’Est) en 1428, Trung Đô (capitale du grand empire central) en 1466; à nouveau Thăng Long (ville de la « prospérité ») en 1805, à l’époque où Huế devint capitale; enfin Hanoi ( en-deça du fleuve) en 1831, date à laquelle elle retrouva son statut de capitale. Du XVIIè au XXè siècle, elle fut aussi connue sous le nom de Kế Chợ (le « marché », les « gens du marché ») soulignant la renommée de sa cité marchande. Tous ces noms évoquent les vicissitudes de l’Histoire de Hanoi. Hanoi qui se trouve confrontée aujourd’hui au défi majeur de concilier la maîtrise de son développement économique avec l’affirmation de son identité culturelle et la préservation de ses anciens quartiers.

Son identité culturelle a des sources multiples et profondes marquées par son enracinement dans le lointain passé de Thăng Long, la diversité et la vitalité des habitants de ses quartiers marchands, le mariage de la ville et de l’eau avec ses canaux et ses lacs, un patrimoine architectural exceptionnel et particulièrement riche, faisant l’admiration de ses visiteurs.

Ce patrimoine est constitué de plusieurs morceaux de ville, juxtaposés, dont chacun possède une identité propre correspondant à une phase historique du long et complexe développement urbain d’Hanoi. Selon leur ancienneté, on trouve les vestiges de la Citadelle (l’ancienne ville impériale) (2), le « quartier des trente-six rues et corporations » (l’ancienne cité marchande), le quartier colonial où les ouvrages d’intérêt patrimonial sont nombreux, enfin le quartier des années trente (mi-villas, mi-compartiments). Le dossier: « L’urbanisation du Viêt Nam, la ville de Hanoi », publié dans le n°140 (4ème trimestre 1997) de notre Bulletin, en a donné une présentation générale qu’il nous semble utile de compléter. D’où ce nouveau dossier « hanoïen » centré sur le « Vieux Hanoi », situé dans l’arrondissement de Hoàn Kiếm, faisant partie de l’ancien district de Tho Xương.

C’est là qu’en 1418, selon la légende, l’empereur Lê Lợi (3) vit surgir du « Lac aux eaux vertes » (Lục Thủy) une tortue d’or qui lui tendit une magnifique épée. Il la prit et partit libérer le royaume. Sa « mission accomplie il revint sur les lieux de son initiation pour offrir un sacrifice de gratitude à la divinité lacustre. Au moment où la cérémonie commençait, un puissant coup de tonnerre retentit, l’épée jaillit de son fourreau, tournoya en l’air et retomba dans le bec de la tortue d’or qui s’enfuit dans les profondeurs du lac » (4). Le « Lac aux eaux vertes » devint alors le « Lac de l’Epée restituée » (Hoàn Kiêm) et son nom fut par la suite donné à l’arrondissement central de Hanoi. C’est un grand village peuplé à l’origine de ruraux regroupés par communautés ou corporations. Leur activité a apporté le souffle vital dont avait besoin la capitale. En effet, le déclin de la cité impériale amorcé au cours du XVIè siècle apparaît inexorable au XVIIè! Ce fait très important mérite explications, en partant des origines


STRUCTURE de THĂNG LONG

La capitale édifiée par l’empereur Lý Thái Tổ comprend deux parties: la cité impériale et la cité civile. La première (Hoàng Thanh), réservée au roi et à la cour, constitue le lieu du pouvoir. Il s’agit d’un vaste enclos entouré de murs de briques. On y accède par quatre portes symbolisant les quatre points cardinaux. A l’intérieur de cet enclos et en son centre, se trouve la Palais royal ou cité interdite (Cấm Thành), légèrement incliné vers l’ouest selon les préceptes des géomanciens. Seul un ordre exprès de l’empereur permet d’accéder à ce quartier de la Citadelle, qui s’étend sur une large superficie à l’ouest du centre actuel de Hanoi. Autour de l’enceinte quadrangulaire de la Cité impériale, se trouve la cité civile (Kinh Thành), elle-même entourée par des murailles. C’est ici que résident les mandarins, les personnels et les militaires. C’est là que la ville marchande, simple faubourg de la Cité impériale (5) comportant des maisons construites depuis la seconde moitié du XIè siècle va prendre son essor. Elle s’étend progressivement en villages-rues sur les digues au nord du lac Hoàn-Kiếm.

PREMIER ESSOR URBAIN

Jusqu’au XIVè siècle, les manufactures et ateliers royaux avaient satisfait les besoins variés de la cour: soie, brocarts, laques, palanquins, éventails, armes etc…Ensuite, cela n’a plus été le cas les fonctionnaires, personnels et militaires étant de plus en plus nombreux, la cour qui employait déjà les meilleurs artisans engagés sous contrat, s’est vue contrainte de se tourner vers des fournisseurs de l’extérieur. A l’extérieur où, justement pour augmenter leurs ressources, des paysans se sont mis à fabriquer des produits artisanaux tout en continuant à travailler la terre. Ils vendent leurs produits à des marchands ruraux qui, eux-mêmes, vont les vendre à la ville. Les marchés se multiplient. Les quatre marchés situés aux quatre portes de l’enceinte fortifiée de la cité, passent à huit, sans compter d’autres marchés à ciel ouverts.

Parallèlement, l’attraction de la cité marchande s’exerce sur un certain nombre de villages environnants qui, tout en restant agricoles, se spécialisent dans une activité artisanale liée à leur savoir-faire, souvent transmis de génération en génération. Ces villages dont le rôle a été important dans l’essor de la capitale, seront peu à peu intégrés dans l’espace urbain, rendant ainsi indissociables la ville et la campagne.

« Les maisons succèdent aux marchés, on dirait une vaste fresque.
Les quartiers suivent les quartiers, le violet alterne le rouge vermeil… »
écrit le lettré Nguyên Gian Thanh dans son poème: « Printemps sur la ville royale », composé en 1508.

Au niveau de l’Etat, le recul du monopole d’Etat et différentes mesures échelonnées dans le temps vont accélérer le décollage économique de la capitale. Ce sont: la stabilisation monétaire, l’unification des unités de mesure, la suppression de la plupart des bacs payants, l’abolition des taxes sur les marchés ruraux, le relâchement du contrôle des fonctionnaires qui se livrent au commerce par l’intermédiaire de leurs épouses. Mais les mesures décisives seront promulguées au XVIIè siècle : la fin du contrôle de l’Etat sur le commerce et la suppression de l’interdiction des déplacements. Ainsi les artisans ont désormais la possibilité de nouer des contacts directs avec des marchands, de venir s’établir provisoirement ou durablement en ville; ce qui va entraîner des vagues de migration de la population. Thăng Long s’émancipe « du carcan de la monarchie centralisée, dont les mille proscriptions architecturales et économiques entravaient le développement (6). Sa population s’élève alors à 100.000 habitants environ et elle est devenue un centre d’échanges de plus en plus important entre la ville et la campagne. On la désigne à présent sous le nom de «Kẻ Chợ », le « marché », les « gens du marché ». C’est sous ce nom d’origine populaire qu’on la trouve sur les cartes du XVIIè siècle. C’est sous ce nom et non pas celui de Thăng Long, que les premiers marchands occidentaux à y avoir établi des comptoirs (Hollandais et Anglais) ainsi que les premiers missionnaires français (fondateurs par la suite de la Société des Missions Etrangères) en parlent dans leurs rapports et leurs relations de voyage. La décrépitude des résidences impériales les frappe, tandis que l’étendue et la vitalité de Kẻ Chợ les impressionnent.

C’est une ville aquatique: elle est bordée par le Fleuve Rouge et la rivière Tô Lịch, à l’est, et à l’ouest, par le grand lac Tây (Lac de l’ouest) ainsi que par l’important chapelet de lacs de la cuvette de Thanh Trì (8), au nord et au sud. Ces lacs constituent l’ossature physique à partir de laquelle la ville s’est développée et se développe. Et puis, il y a le Fleuve, artère principale du trafic des voyageurs et des marchandises. Les « gens du marché » se déplacent en embarcations sur un réseau complexe de lacs, rivières, canaux et arroyos, reliés les uns aux autres. L’affluence est incessante Kẻ Chơ, située au cœur des méandres du Fleuve Rouge, est baptisée la « Venise de l’Extrême Orient ».

Avec l’eau nécessaire à la vie quotidienne, aux transports et à l’industrie, il y a la végétation, une végétation luxuriante. A l’intérieur des enceintes de la ville, les rizières sont nombreuses. La population se livre aussi au jardinage, au maraîchage et à l’aquaculture.

L’eau, la végétation (bambous notamment), la terre (argile) forment la base des matériaux de construction dont a besoin la capitale.

LA CITÉ MARCHANDE

Contrairement au quartier de la citadelle, son tissu urbain est dense avec une façade continue sur la rue. Ses constructions n’ont rien à voir avec celles de Thăng Long décrites au XIIè siècle par des envoyés chinois à la cour vietnamienne: « Le souverain habite un palais à quatre étages… A côté se trouvent des édifices décorés d’inscriptions altières. Toutes ces constructions sont peintes avec du vernis rouge; sur les colonnes qui les soutiennent, on a représenté des dragons, des aigrettes et des immortelles… ». Palais, pagodes et stupas sont disséminés au milieu de rizières, de parcs, de jardins et de lacs.

La cité marchande appelée de nos jours « quartier des trente-six rues et corporations », située près de la cité impériale dont elle est séparée par une enceinte, semble rejetée à l’extérieur. Elle est complexe au regard du bel ordonnancement du quartier de la Citadelle. En effet, elle n’est pas organisée autour d’un centre, du lieu du pouvoir, mais relève de nombreuses sphères: politiques, économiques et religieuses.

Pour bien saisir son organisation, il faut partir de son appellation vietnamienne : « Khu 36 phố phường ». On y trouve les deux principales composantes de son administration et de sa structure : le « phố », la rue, et le « phường », le quartier urbain traditionnel qui désigne « un village dans la ville ». La rue, « phố », est un morceau de terrain occupé par des villageois qui y vendent leurs produits sans aucun statut officiel.
« Quant à l’expression « phố phường » (rue-quartier), elle désigne un quartier divisé en plusieurs rues, c'est-à-dire l’espace incluant une artère bordée d’échoppes avec les arrière-boutiques et les cours intérieures, les ateliers et les logements. C’est la confusion entre « phường » et « phố » qui a donné naissance à l’expression « Hanoi des trente-six rues »… « En réalité, la ville commerçante en comptait près d’une centaine »… Au fil du temps, la rue a pris le pas sur son quartier, simple découpage administratif partagé entre des communautés voisines et souvent concurrentes. (8)

Le « phố » conçu de la sorte devient alors un mode de groupement de personnes exerçant le même métier artisanal et souvent originaires du même village. Ainsi, dans la rue des Incrusteurs, sont groupés tous les artisans travaillant la nacre.

Comme l’indique Samuel Baron, commerçant anglais arrivé à Kẻ Chợ en 1680: chaque marchandise qu’on y vend a sa rue, qui lui est assignée, et ces rues appartiennent à un, deux ou plusieurs villages dont les habitants ont droit seuls d’y tenir boutique. Le docteur Hocquart note de son côté : « les différents quartiers sont complètement séparés les uns des autres par de grandes portes, qui tiennent toute la longueur des rues et qu’on ferme le soir (9) ». Au nombre de 85 d’après le plan de Phạm Đình Bách (1916), il n’en subsiste qu’une seule aujourd’hui : la porte Hàng Chiếu (des nattes de jong – ex.rue Jean Dupuis).

Chaque « phố » a son administration propre concrétisée par un « chef »(10), la maison communale, le dinh, où se réunit le Conseil des notables, où s’abrite le génie protecteur de la corporation et où se trouve l’école. La traduction de « phố » par rue ne correspond donc pas à la réalité! La rue n’est pas une simple voie de communication, c’est un lieu de rencontres et de rassemblement, surtout les jours de marchés. Les principales rues ont leurs noms inscrits sur le fronton de leurs portes, ou bien sur un simple écriteau placé à l’extérieur.

La colonie chinoise, très homogène, a des rues à elle. Ces rues, généralement pavées en leur milieu et fermées à leurs extrémités par des portes monumentales, forment le plus beau quartier de la Cité marchande. Là se trouvent les magasins les plus importants.

Ce n’est qu’en 1908 qu’apparaissent les Indiens et les Pakistanais, les « Malabars » de notre enfance, Sikhs, généralement solides gardiens et veilleurs de nuit d’usines et bâtiments officiels, dont nous admirions l’art avec lequel ils enroulaient leurs turbans colorés et plissés autour de leur tête. Les marchands de tissus et d’articles de bazar, généralement connus sous le nom de «Bombays » étaient installés rue de la Soie pour la plupart.

En ce qui concerne les migrants vietnamiens arrivés dans la capitale par vagues successives à partir du XVIIè siècle, il n’y a pas de rupture avec le village ou la province d’origine. Ils leur transmettent des commandes, ils y réinvestissent l’argent gagné en ville. La migration des hommes et des femmes (11) vers la ville et le transfert des capitaux vers la campagne sont à la base du développement de la cité marchande et de la création d’une véritable société citadine. Par la suite, l’affaiblissement des dynasties régnantes et le transfert, au début du XIXè siècle de la capitale à Huế, ont fait émerger une bourgeoisie vietnamienne.

On peut dire que les populations vivant dans la ville marchande forment une mosaïque ethnique d’autant plus curieuse que chacun de ses éléments a sa culture, ses traditions, son mode de vie, son organisation. Ces communautés vivent côte à côte dans un espace restreint. Mais au sein de chaque communauté les liens sont forts; on se réunit, on s’entr’aide pour subsister et pour prospérer.

LA CITÉ MARCHANDE, UN LIEU UNIQUE

Au Viêtnam, il n’y a que Hội An et Hanoi à avoir gardé leur vieux quartier. Mais Hội An n’a qu’une rue, assez marquée par l’influence chinoise. Dans le « quartier des 36 rues et corporations » d’Hanoi les maisons sont serrées comme sur un échiquier et réservent bien des surprises.

D’une largeur de façade très limitée, 3 à 5 mètres environ, ces maisons se déploient en profondeur, sur quelques dizaines de mètres de long en moyenne. Certaines peuvent atteindre une cinquantaine de mètres, d’où l’appellation de « maisons en tubes » (nhà ống). Voici la description qu’en donne Nguyễn Vĩnh Phúc: « La disposition est partout pareille : la pièce sur la rue est le lieu de vente des articles ou un atelier, puis une cour à ciel ouvert. Au milieu de la cour, un bassin (dans lequel il y a une rocaille et des poissons rouges), et autour de la cour, des arbres d’agrément, une tonnelle de fleurs. La pièce intérieure est l’habitat auquel sont jointes les dépendances. La plupart sont des maisons sans étage recouvertes de petites tuiles, avec cette caractéristique que les murs des pignons s’élèvent plus haut que le toit, bâtis en échelons et avec deux piliers aux deux côtés du sommet. Certaines maisons ont un étage, mais bas et sans fenêtre, sinon une fenêtre très petite. (Les anciennes dynasties interdisaient au peuple de regarder directement le roi, surtout d’en haut, quand il passait dans la rue). A la fin du XIXè siècle, une bonne partie de ces habitations étaient encore des paillotes. Mais les gens riches avaient des maisons avec charpentes en bois, murs de briques et sol dallé.

Ce type d’habitation était bien adaptée aux besoins de l’époque: commerce, production artisanale. L’espace permettait la circulation de l’air, donc la respiration de la maison.

Le peintre hanoien Bùi Xuân Phai (1921-1988) a su traduire dans son œuvre l’atmosphère de ces multiples rues et ruelles qu’il aimait: les rues Cha Ca, de l’Argent ou des Joailliers (ex-rue des Changeurs), des radeaux, etc(12). Les rues qu’affectionnait Roland Dorgelès: «Rue de la Soie, aux écharpes multicolores, rue des Ferblantiers, toute sonore du bruit des marteaux, rue des Médicaments, au parfum d’herbes aromatiques, rue des Potiers, rue des Balances, rue des Teinturiers, chacune avec ses boutiques et ses ateliers trop étroits; ici, pleines échoppes de ces animaux peinturlurés qu’on promène dans les cortèges et qu’on offre aux génies, là, de petits magasins où s’entassent des meubles taillés dans le bois dur, ailleurs rien que des éventails, plus loin, rien que des comptoirs de changeurs, puis le Coton, le Sucre, la Laque, chacun sa rue, chaque corps d’état son nom, quartier marchand de la vieille Chine rebâti au goût d’aujourd’hui, bousculade anachronique de bicyclettes et de pousse-pousse, timbre pressé du tramway à trolley répondant à la sonnette du marchand de soupe… je l’aimais plus que tout ce quartier bien vivant, on m’y revoyait tous les jours… » (Sur la Route Mandarine, 1925)

Ces noms de rues sont comme des coups d’archet dans notre mémoire collective. Aux côtés des maisons tubulaires ou compartiments, on peut découvrir des pagodes aux toits simplement recourbés, des temples, des maisons communales qui ont bravé le temps… des espaces verts composés de plantes aromatiques, ici et là. C’est aussi un des aspects de ce lieu unique, où le communalisme vietnamien a maintenu un lien étroit entre le village et la société urbaine.

 

LE QUARTIER DES TRENTE-SIX RUES ET CORPORATIONS… AUJOURD’HUI

Ce vieux quartier a la forme d’un triangle isocèle dont le sommet est la rue de Hàng Than (rue du Charbon), le côté Est : la digue du Fleuve Rouge, le côté Ouest : les rues de Hàng Cột ( rue des Claies en bambous), Hàng Điếu ( rue des Pipes) et Hàng Da (rue du Cuir). Sa base étant constituée par l’axe Hàng Bông ( rue du Coton) – Hàng Gai (rue du Chanvre) et Cân Gô ( rue du Pont de Bois). Il s’agit d’une structure urbaine datant du XVè siècle avec des constructions réalisées pour la plupart à la fin du XIXè et au début du XXè siècle. Hàng Đào (la rue de la Soie teinte en rose), principale artère de ce vieux quartier, aboutit au Marché de Đồng Xuân(13) . A partir de cette artère, un lacis de ruelles mène, à l’Est, aux anciennes digues et au Fleuve Rouge, et à l’Ouest, à l’antique Citadelle de Cổ Loa. Grosso modo, elles s’étendent sur une superficie de 100 ha où vivent actuellement plus de 66.000 habitants. Ces anciennes rues sont un enchantement si on y circule à pied ou à vélo. Les légendes et l’Histoire courent le long des rues. Dans ce petit espace, se mêlent la vision du passé et celle de l’époque contemporaine. On y trouve de vieux artisans qui gravent encore des tampons à la main, de magnifiques portraits ou paysages réalisés rue des Brodeurs, aux côtés d’articles en plastique aux couleurs criardes! On y voit des cohortes de femmes vendant légumes et fruits frais de la campagne, marchandes ambulantes de produits variés (soupe, pain.) et à la hauteur du n° 82 de la rue Hàng Gai (du chanvre), un immense banian portant des bâtonnets d’encens et des papiers votifs. Derrière, on peut apercevoir la maison communale du hameau de Cô Vu. « Hanoi nous rappelle que l’éternel repose dans le transitoire, et que le spirituel ne se manifeste jamais si bien qu’au travers des moyens pauvres et ordinaires (14) . »

Quel plaisir de s’asseoir sur les petits tabourets bas, comme ceux de la campagne, pour déguster un « phở » ou un « bò bún » d’un marchand ambulant ! Des écrivains renommés comme Thac Lam, Nguyễn Tuấn, Vũ Bang ont écrit des centaines de pages sur la cuisine hanoienne. Thac Lam, auteur de « Hanoi aux Trente-six quartiers », décrit l’attrait d’un « Bún Chả » (vermicelle au porc grillé) consommé au coin d’une rue avec une infinie poésie ». Quand, le ventre vide, vous vous asseyez sous le vent pour recevoir la fumée odorante du porc grillé, vous devenez facilement poète. La fumée bleue monte en volutes comme du brouillard sur la pente des montagnes, la goutte de graisse grésille sur le charbon comme un soupir et le bruit de l’éventail qui s’agite légèrement comme une branche d’arbre qui frémit… »

Hanoi aux multiples facettes ! Décrire cette ville qui a toujours été une source d’inspiration n’est pas facile. Ancienne cité royale, capitale des lettrés au style académique, elle compte aujourd’hui une floraison de poètes, écrivains, romanciers, peintres et musiciens qui ont contribué, et contribuent, à la renommée de Tràng An. Ce nom souvent employé autrefois pour désigner la capitale signifie : la tranquillité, la paix durable. Les hommes et les femmes formés à ce creuset sont amoureux des belles lettres, de la nature et ont un mode de vie basé sur le respect de l’autre et la convivialité. Ils s’expriment dans une langue d’une grande pureté….

Mais il règne à Hanoi une atmosphère souvent changeante au gré des saisons, du crachin, des vents et des nuages, provoquant d’étonnants jeux d’ombres et de lumières. C’est un peu ce que l’on ressent, quand on n’est pas un touriste, en parcourant son vieux quartier aujourd’hui dans un état critique.

COMMENT PRÉSERVER LE VIEUX HANOI ?

Comment créer un environnement esthétique et symbolique répondant aux besoins des habitants de ce quartier? Les résultats d’une enquête récente permettent de constater l’ampleur des travaux nécessaires : 63,1 % des maisons sont dégradées, 11,7 % abîmées et 5,1 % dans une situation alarmante.

Depuis les années 1990, le gouvernement vietnamien, les professionnels de l’architecture et de l’urbanisme ont pris conscience de l’intérêt de ce patrimoine culturel. Face aux attentes des investisseurs étrangers, Hanoi est devenue le théâtre d’une concurrence acharnée suscitant un mouvement d’intérêt international, aux côtés des équipes vietnamiennes, pour la sauvegarde de ce quartier unique en Asie du Sud Est . Il a été considéré par l’UNESCO comme un des plus grands projets de conservation au Viêt Nam. Ce mouvement a déjà permis :

- l’établissement, par les autorités, d’un périmètre de protection spécifique parallèlement à la création d’un service du patrimoine au sein de la municipalité de Hanoi ;
- la restauration d’un ancien compartiment financée par la Ville de Toulouse. La municipalité de Hanoi assure par ailleurs, sur ses fonds propres, la réhabilitation voire la reconstruction de plusieurs bâtiments cultuels fondés par les anciennes corporations artisanales !

Quelque chose a commencé lors de la construction d’immeubles autour du Lac de l’Epée restituée. En négociant au cas par cas, des architectes et universitaires vietnamiens ont obtenu qu’aucun immeuble ne dépasse la cime des arbres! La plupart d’entre eux considèrent comme prioritaire la sensibilisation des habitants du « Quartier des 36 rues et corporations » pour qu’ils participent à la protection de leur « village » en demandant notamment la suppression des engins motorisés et le maintien des métiers traditionnels.

Tâche ô combien ardue ! Mais le retour actuel, dans de nombreux colloques, d’une réflexion sur le passé et ses leçons semble de bon augure..

L.B.


NOTES

(1) LÝ THÁI TỔ, de son vrai nom Lý Công Vân, était originaire de Bắc Ninh. Adopté par un moine, il avait été élevé dans une pagode. Il fut profondément marqué par la pensée bouddhiste. Il suivit son protecteur à la Cour de Hoa Lư où il obtint le grade de Gouverneur du Palais La dynastie des Lý antérieurs étant en grandes difficultés, son père adoptif n’eut aucun mal à persuader les mandarins de la Cour de le faire accéder au Trône.
Premier empereur de la dynastie des Lý, fondateur de Thăng Long, il régna dix-neuf ans, de 1009 à 1028. Non seulement il stabilisa et organisa le pays, mais il lui donna de surcroît l’impulsion nécessaire pour devenir un empire.

(2) Il en reste malheureusement peu. Parmi ceux-ci, on peut citer le Palais de Kinh Thiên, la Porte de Đoàn Môn, les ruines de l’ancienne muraille et surtout la Tour du Drapeau, haute de 60 mètres, datant de la dynastie des Nguyễn. Aussi, la découverte en 2003, à l’Ouest de la Citadelle, de vestiges à 6 mètres de profondeur du sol, est extrêmement importante.
Cf. le remarquable article de Marcus Durand: « Découverte archéologique du siècle à Hanoi – la Citadelle impériale de Thang Long », publié dans le n°169 (1er trimestre 2005) de notre Bulletin.

(3) Il fonda en 1428 la dynastie des Lê (1428-1789). Sa personnalité et la valeur de son entourage expliquent son triomphe dans la lutte contre les chinois Ming

(4) Cf. Philippe Papin, « Histoire de Hanoi », Paris, Fayard 2001, page 115

(5) La structure morphologique et spatiale de Thăng Long continue à garder son originalité de ville traditionnelle vietnamienne. C’est à partir du XVè siècle, siècle de son apogée, que l’on peut parler de cité interdite, cité impériale et cité civile, constituant trois mondes cloisonnés.

(6) Cf. Philippe Papin, « Histoire de Hanoi », Paris, Fayard 2001, page 160.

(7) De quelques centaines au début du XXè siècle, ils ne sont plus qu’une dizaine aujourd’hui.

(8) Cf. Philippe Papin, « Histoire de Hanoi », Paris, Fayard 2001, page 176

(9) Samuel Baron, « Description du Tonkin » p.114. Dr Hocquard, « Une campagne au Tonkin »

(10) Jusqu’en 1954, ce sont les chefs de rues (phố trưởng) – et non les chefs de quartier - qui ont administré la ville.

(11) Souvent le mari restait à la campagne pour gérer la « ferme » ou la propriété agricole. C’est la femme qui allait ou s’installait en ville pour s’occuper du négoce.

(12) Le succès de ses tableaux a créé un nom général pour ce type de peinture : les tableaux Phô Phai »

(13) Ce marché a été construit en 1889. Il compte cinq halles contiguës, avec des colonnes,des charpentes et des arbalétriers en fer, supportant la toiture en tôle de fer.

(14) Dominique DELAUNAY – article « La permanence et le flux » in Les Cahiers de l’Ipraus, n°3, Hanoi.

BIBLIOGRAPHIE

- « HISTOIRE DE HANOI » de Phillipe Papin – Ed. Fayaud, 2001
- « HANOI » - les Cahiers de l’Ipraus – Ed. Recherches, 2001

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